Chapitre 4 : Croissance et Culture des Micro-organismes

 
Chapitre 4 : Croissance et Culture des Micro-organismes

Introduction

La croissance des micro-organismes est un domaine crucial de la microbiologie, influençant la santé humaine, la production industrielle, la conservation des aliments et bien d'autres domaines. Ce chapitre explore les facteurs influençant la croissance microbienne, les techniques de culture et de dénombrement des micro-organismes, ainsi que les courbes de croissance microbienne.

1. Facteurs Influant sur la Croissance Microbienne

1.1. Température

La température affecte directement la vitesse des réactions biochimiques au sein des micro-organismes et influence leur structure cellulaire et leur fonction.

Psychrophiles :

  • Température optimale : -5°C à 15°C.
  • Environnements typiques : Glaciers, eaux profondes de l'océan.
  • Adaptations : Enzymes fonctionnant à basse température, membranes riches en acides gras insaturés pour maintenir la fluidité.

Mésophiles :

  • Température optimale : 20°C à 45°C.
  • Environnements typiques : Sols, eaux douces, corps humain.
  • Exemples : Escherichia coli, Staphylococcus aureus.

Thermophiles :

  • Température optimale : 45°C à 70°C.
  • Environnements typiques : Sources chaudes, compost.
  • Adaptations : Protéines thermostables, membranes avec acides gras saturés pour réduire la fluidité.

Hyperthermophiles :

  • Température optimale : >70°C.
  • Environnements typiques : Sources hydrothermales sous-marines.
  • Adaptations : Enzymes extrêmement thermostables, membranes lipidiques avec des liaisons éther.

1.2. pH

Le pH influence les charges des acides aminés dans les protéines et les acides nucléiques, affectant ainsi l'activité enzymatique et la stabilité des structures cellulaires.

Acidophiles :

  • pH optimal : <5.
  • Environnements typiques : Mines de sulfure, estomacs.
  • Adaptations : Pompes à protons pour expulser les ions H+, protéines résistantes aux acides.

Neutrophiles :

  • pH optimal : Environ 7.
  • Environnements typiques : Corps humain, sols, eaux douces.
  • Exemples : E. coli, Lactobacillus.

Alcalophiles :

  • pH optimal : >8.
  • Environnements typiques : Lacs alcalins, lessives.
  • Adaptations : Pompes à ions pour maintenir le pH interne, protéines résistantes aux bases.

1.3. Nutriments

Les micro-organismes nécessitent divers nutriments pour leur croissance, classés en macroéléments, microéléments et facteurs de croissance.

Sources de carbone :

  • Hétérotrophes : Utilisent des composés organiques (glucose, acides aminés).
  • Autotrophes : Utilisent le CO₂ via la photosynthèse (photoautotrophes) ou la chimiosynthèse (chimioautotrophes).

Sources d'azote :

  • Composés organiques : Acides aminés, purines, pyrimidines.
  • Composés inorganiques : Ammonium (NH₄⁺), nitrate (NO₃⁻).

Sources de phosphore et de soufre :

  • Phosphore : Nécessaire pour les acides nucléiques, ATP, phospholipides.
  • Soufre : Important pour certains acides aminés (cystéine, méthionine) et coenzymes (coenzyme A).

Facteurs de croissance :

  • Vitamines : Coenzymes et cofacteurs.
  • Acides aminés : Pour la synthèse protéique.
  • Bases azotées : Pour les acides nucléiques.

1.4. Oxygène

L'oxygène est essentiel pour certains micro-organismes, tandis que d'autres le trouvent toxique. Les micro-organismes peuvent être classés selon leurs besoins en oxygène.

Aérobies stricts : Nécessitent de l'oxygène pour la respiration aérobie.

  • Exemple : Mycobacterium tuberculosis.

Anaérobies stricts : Sont inhibés ou tués par l'oxygène, utilisent la fermentation ou la respiration anaérobie.

  • Exemple : Clostridium botulinum.

Anaérobies facultatifs : Peuvent utiliser l'oxygène mais peuvent aussi croître en son absence par fermentation ou respiration anaérobie.

  • Exemple : E. coli.

Microaérophiles : Nécessitent de faibles concentrations d'oxygène (2-10%).

  • Exemple : Helicobacter pylori.

Anaérobies aérotolérants : Ne sont pas affectés par la présence d'oxygène mais ne l'utilisent pas.

  • Exemple : Streptococcus pyogenes.

1.5. Pression osmotique

La pression osmotique influence la disponibilité de l'eau et l'équilibre ionique des cellules microbiennes.

Halophiles :

  • Environnements : Eaux salines, marais salants.
  • Adaptations : Accumulation d'osmolytes compatibles (comme le potassium) pour équilibrer la pression osmotique.

Halotolérants : Peuvent tolérer des concentrations de sel élevées mais préfèrent des conditions moins salines.

  • Exemple : Staphylococcus aureus.

Osmophiles : Tolèrent des environnements riches en sucre.

  • Exemple : Levures responsables de la détérioration des aliments sucrés.

2. Techniques de Culture et de Dénombrement des Micro-organismes

2.1. Techniques de Culture

Milieux de culture :

  • Milieux liquides (bouillons) : Utilisés pour des cultures en grande quantité ou pour des tests de croissance.
  • Milieux solides (gélose) : Utilisés pour l'isolement et la différenciation des colonies.

Types de milieux :

  • Milieux synthétiques (définis) : Contiennent des quantités précises de composants chimiques connus. Utiles pour les études métaboliques.
  • Milieux complexes : Contiennent des ingrédients comme des extraits de levure ou des peptones. Utilisés pour la culture de la plupart des bactéries.
  • Milieux sélectifs : Contiennent des substances inhibant la croissance de certains micro-organismes tout en favorisant celle d'autres.
    • Exemple : Milieu de MacConkey, qui favorise la croissance des Gram-négatifs tout en inhibant les Gram-positifs.
  • Milieux différentiels : Permettent de distinguer les colonies de différents micro-organismes par des réactions spécifiques.
    • Exemple : Milieu de MacConkey, qui différencie les bactéries fermentant le lactose (colonies roses) de celles qui ne le fermentent pas (colonies incolores).
  • Milieux enrichis : Contiennent des nutriments supplémentaires pour favoriser la croissance de micro-organismes exigeants.
    • Exemple : Gélose au sang, utilisée pour cultiver des pathogènes fastidieux comme Streptococcus.

Techniques d'isolement :

  • Ensemencement en stries : Utilisé pour isoler des colonies pures à partir d'un mélange de micro-organismes.
  • Ensemencement en surface : Pour dénombrer les colonies ou isoler des bactéries spécifiques.
  • Culture continue : Utilisée pour maintenir les micro-organismes en phase exponentielle dans des bioréacteurs. Les nutriments sont continuellement fournis et les déchets éliminés, permettant une croissance continue.

2.2. Techniques de Dénombrement

Dénombrement sur milieu solide :

  • Technique : Ensemencement d'une série de dilutions de l'échantillon sur des plaques de gélose, incubation, puis comptage des colonies formées (CFU - Colony Forming Units).
  • Avantages : Permet de déterminer le nombre de micro-organismes viables.
  • Inconvénients : Ne compte que les micro-organismes capables de croître sur le milieu utilisé.

Méthode du nombre le plus probable (NPP) :

  • Technique : Utilisation de dilutions sérielles et de cultures en milieu liquide pour estimer la concentration microbienne par des méthodes statistiques.
  • Avantages : Utile pour les échantillons contenant de faibles concentrations de micro-organismes.
  • Inconvénients : Moins précis et plus laborieux que le dénombrement direct.

Dénombrement microscopique direct :

  • Technique : Utilisation d'une chambre de comptage (comme une cellule de Neubauer) pour observer et compter les micro-organismes au microscope.
  • Avantages : Rapide et peut être utilisé pour des échantillons liquides.
  • Inconvénients : Ne différencie pas les micro-organismes vivants des morts.

Dénombrement par filtration sur membrane :

  • Technique : Filtration d'un volume connu d'échantillon à travers une membrane poreuse, puis incubation de la membrane sur un milieu de culture pour compter les colonies formées.
  • Avantages : Utile pour les échantillons aqueux contenant peu de micro-organismes.
  • Inconvénients : Peut être influencé par la présence de particules non microbiennes.

Mesure de la turbidité :

  • Technique : Utilisation d'un spectrophotomètre pour mesurer la densité optique (OD) d'une culture en croissance.
  • Avantages : Rapide et non destructif.
  • Inconvénients : Ne différencie pas les micro-organismes vivants des morts.

3. Courbes de Croissance Microbienne

Les courbes de croissance microbienne illustrent les phases de croissance d'une population microbienne en culture batch. Ces phases sont :

3.1. Phase de Latence

  • Caractéristiques : Période d'adaptation où les micro-organismes synthétisent les enzymes nécessaires pour métaboliser les nouveaux substrats.
  • Durée : Variable, dépendant des conditions environnementales et de l'état physiologique des cellules.

3.2. Phase Exponentielle (ou Logarithmique)

  • Caractéristiques : Période de croissance rapide où le nombre de cellules double à intervalles réguliers.
  • Taux de croissance : Maximum et constant.
  • Importance : Phase utilisée pour des études sur la cinétique de croissance et la production de biomasse ou de produits secondaires.

3.3. Phase Stationnaire

  • Caractéristiques : La croissance nette de la population cesse ; le taux de division cellulaire est équilibré par le taux de mortalité.
  • Causes : Épuisement des nutriments, accumulation de déchets toxiques, ou limitation de l'espace.
  • Adaptations : Les micro-organismes peuvent produire des spores ou des métabolites secondaires comme des antibiotiques.

3.4. Phase de Déclin (ou de Mort)

  • Caractéristiques : Le nombre de cellules viables diminue, souvent de manière exponentielle.
  • Causes : Conditions environnementales défavorables, accumulation de déchets toxiques, épuisement complet des nutriments.

Représentation Graphique

Les courbes de croissance sont généralement représentées par des graphiques montrant le nombre de cellules (ou la densité optique) en fonction du temps.

Axes :

  • Axe des abscisses (x) : Temps.
  • Axe des ordonnées (y) : Nombre de cellules (ou OD) en échelle logarithmique pour la phase exponentielle.
  • Utilisation : Analyse de la cinétique de croissance, évaluation des conditions de culture optimales, étude des effets des agents antimicrobiens.

Conclusion

La compréhension des facteurs influençant la croissance microbienne, des techniques de culture et de dénombrement, ainsi que des courbes de croissance, est essentielle pour manipuler et étudier les micro-organismes de manière efficace. Ces connaissances sont appliquées dans de nombreux domaines, allant de la recherche fondamentale à l'industrie, en passant par la médecine et la biotechnologie. Les étudiants doivent maîtriser ces concepts pour réussir dans le domaine de la microbiologie.